Montbrison

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Montbrison

Montbrison dans l'Histoire

Capitale des comtes de Forez, sur le grand chemin entre Lyonnais et Auvergne, la Bourgogne et le Sud, ancienne préfecture de la Loire, Montbrison, riche de son patrimoine, reste le coeur historique de notre province...

I) Les temps anciens

La plus ancienne mention écrite de Montbrison, " Monsbriso " date du IXe siècle mais l'origine de son nom est incertaine. Pour l'historien La Mure (XVIIe siècle), il vient d'une déesse des songes et du sommeil, un certaine Briso qui y aurait eu son sanctuaire. Il semble cependant plus probable que son nom renvoie au souvenir d'un propriétaire terrien de l'époque gallo-romaine qui y aurait développé son domaine, à l’emplacement de la butte du calvaire, au cœur de la cité. Sous la domination romaine, Montbrison devait se résumer à bien peu de chose, tout au plus quelques maisons. Bien plus tard, au IXe siècle, quelques habitations seulement se serraient autour d'une église dédiée à sainte Madeleine.

En revanche, le village voisin de Moingt était alors prospère et connu sous le nom d' Aquae Segetae, les " eaux de Cérès ", en l'honneur de la déesse des moissons des Romains. Surnommée " la Vichy des Ségusiaves ", cette ville thermale se développa sous l'aigle de Rome. Les derniers témoins de sa grandeur antique sont les restes du théâtre, désignés sous le nom de " mur des Sarrasins ". La dernière des sources d'eau minérale qui firent sa renommée est restée en activité jusque dans les années 90.

II) Le Moyen Age

L’histoire de la cité forézienne est indissociable de celle des comtes de Forez. Du premier en titre, Guillaume qui fut mis en possession du Comté de Forez en 877 par Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, jusqu’à Charles III, connétable de Bourbon, tué sous les murs de Rome en 1527, ils forment une lignée de seigneurs puissants et valeureux. La première race de ces comtes avait pour capitale le Forum des anciens Celtes Ségusiaves (Feurs) et c'est avec Guy II, de la seconde race, que Montbrison devint leur capitale en 1173. Cette même année, la "permutatio", un traité passé entre Guy II et l'archevêque de Lyon mettait fin à une longue lutte et définissait les limites du forez et du Lyonnais. C'est à cette illustre famille que la ville doit ses nombreux vestiges historiques.

Au centre de la ville, sur la colline du calvaire, vers 1080, le comte Artaud fit édifier un château. Guillaume III fonda un Hôtel-Dieu, c'est à dire un hôpital, certainement un des plus anciens de France. Placé sous la protection de sainte Anne, dans l'enceinte même du château, ses quinze lits accueillaient les femmes en couche et les malades. En 1217, il fut transféré sur les rives de Vizézy où le bâtiment subsiste encore et qui accueillit les malades jusqu'en 1975. Le château, sur sa colline, fut rasé en 1956 et ne demeure plus que sur le blason de la cité, à l'exception de murailles, rues des Prisons et Claude Henrys, et une tour surnommée "tour des Adrets"; nous verrons pourquoi.

Guy II, déjà évoqué, a gouverné le Pagus Forensis pendant soixante et un ans. Il fut un très habile constructeur. Il conçut l’audacieux projet d'augmenter le débit insuffisant du petit Vizézy en lui amenant les eaux du Lignon. Pour cela, il fit détourner le cours du ruisseau des Planches, à 1270 mètres d'altitude dans les Montagnes du Soir, et creuser une tranchée de 4, 5 km. Ce travail très conséquent pour l'époque, connu sous le nom de Béal Comtal, permit aux Montbrisonnais de ne jamais souffrir de la soif. On lui doit également, en 1180, la construction de la Commanderie de Saint-Jean des Prés, dépendant de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, autrement dit des Chevaliers Hospitaliers, un ordre guerrier et monastique créé pendant les croisades auxquelles participèrent de nombreux comtes de Forez. Enfin, grâce à lui, les lépreux purent être accueillis dans la maladrerie qu'il fonda à Moingt.

A Guy IV, la cité doit son joyau : la collégiale Notre-Dame d'Espérance. Par humilité, il fit poser la première pierre par son fils, le futur Guy V, alors âgé de cinq ans, qui fut bien plus tard le compagnon de saint Louis en Egypte. C'était le 23 novembre 1226. Aujourd'hui, l'église, qui porte la devise du Forez, abrite encore le tombeau de son fondateur. Guy IV, qui a laissé le souvenir d'un seigneur bon et généreux, octroya également en 1223 aux citadins de Montbrison une charte de franchise qui reconnaissait officiellement leurs droits. En 1239, il créa l'étang de Vidrieux, premier étang artificiel du Forez.

Le tombeau du comte Guy IV de Forez présente une particularité car sur son gisant, celui-ci n'est pas représenté en guerrier (pas d'armure), ni en comte (pas de couronne comtale) mais avec la robe et le bonnet de ceux qui ont fait des études. Pourtant, il porte l'épée.

Guy VI fait construire en 1278 la Commanderie de Saint-Antoine pour soigner les malades atteints du " mal des ardents " ou " feu de Saint-Antoine ". Il ne reste aujourd'hui plus rien de ce bâtiment, si ce n'est son souvenir à travers la rue Saint-Antoine.

Jean Ier, qualifié de " plus grand seigneur de sa race ", gouverna le Forez durant cinquante-quatre ans. Proche du " roi de fer " Philippe le Bel, il reçut de ce dernier un hôtel particulier à Paris, rue de la Harpe. Plus près de notre géographie, il offrit non seulement au Forez, mais aussi à la France, la magnifique (et unique) salle héraldique de la Diana, au chevet de la Collégiale. Construite en 1295, à l’occasion de son mariage avec Alix de Viennois.

La superbe salle de la Diana fut construite à l’occasion du mariage de Jean Ier de Forez avec Alix de Viennois. Elle est aujourd'hui la propriété de la Société d'Histoire et d'Archéologie du Forez. 48 blasons sont figurés sur sa voûte et chacun est répété 36 fois. On y distingue les Lys de France et le Dauphin de Forez bien sûr mais aussi la Croix d'argent de Savoie, le Vair des d’Urfé, etc. C'est dans cette salle que fut jouée ce qui semble être la première opérette (ou opéra) de l'histoire, La Pastorelle de Papon.

Si du XIe siècle au début du XIVème, Montbrison eut à souffrir des années difficiles, en raison des difficultés propres à l’époque (famines), au moins fut-elle épargnée par les foudres de la guerre. Mais en 1359, la guerre de Cent ans s'invita par le biais des Grandes compagnies anglaises ou mercenaires qui rançonnèrent le pays. Le 19 juillet 1359, une troupe commandée par Alle de Buet et Jacques Wint, surnommé " le Poursuivant d'Amour ", se jeta sur la ville offerte (puisque sans fortifications) et la brûla à l’exception de la Collégiale qui eut peu à souffrir. En 1362, ce sont les sinistres routiers, pillards sans vergogne qui rançonnèrent les habitants et, pour faire bonne mesure, le chef de bande Seguin de Badefol en rajouta une couche en 1365.

Le XIVe siècle fut aussi marqué par le déclin démographique de la ville. En effet, Montbrison est située entre la Champagne et le Languedoc, or les fameuses foires de Champagne commencèrent à décliner en même temps que les ports du Languedoc. Aussi les foires créées à Montbrison par les comtes subirent-elles le même sort. L'avenir appartenait désormais à l'axe rhodanien d'où était exclue la cité forézienne. En 1420, la population avoisinait les 2000 habitants. Trois fois moins environ qu'un siècle plus tôt.

Cette guerre à n'en plus finir eut une autre conséquence, bien plus importante pour tout le Forez. En effet, le comte Louis de Forez fut tué en 1362 à la bataille de Brignais. Le pays passa alors aux mains de son frère Jean II qui, à moitié fou, le céda au Duc d'Anjou pour 30 000 livres. Aussi c'est sa mère Jeanne de Bourbon qui prit les choses en main et protégea le Forez contre les Anglais, s'intitulant "Illustris et potens domina comitis Forensis ". Dix ans après la mort de son fils, sans héritier mâle, elle légua le pays à sa petite fille Anne-Dauphine et à son second époux, Louis II de Bourbon. A la mort d'Anne-Dauphine, le Forez fut ainsi annexé par le Bourbonnais, dont les ducs portèrent le titre de ducs de Bourbon, d'Auvergne et de Forez et dont la capitale était Moulins, dans l'Allier.

En 1415, le Duc de Bourbon Jean Ier était fait prisonnier lors du désastre d'Azincourt. C'est son épouse, la duchesse Marie de Berry, qui autorisa les Montbrisonnais à construire des remparts pour protéger leur ville. L'édification fut achevée en 1431. L'enceinte qui baignait dans des fossés devait avoir fière allure avec ses 47 tours, ses sept portes et ses murs épais de près de deux mètres ! Les restes de l'enceinte furent rasées au début du XIXe siècle.

III) Le XVIème siècle, le meilleur et le pire

Le 15 juillet 1523 se produisit à  Montbrison un événement lourd de conséquence pour le royaume de France. A la nuit tombée, en grand secret, Adrien de Croi, émissaire du Saint Empire Romain Germanique fut reçu par Charles III, connétable de Bourbon et dernier des comtes de Forez. Il vint sceller entre Charles III et son maître, l'Empereur Charles Quint, une alliance contre le Roi de France François Ier. Le neuvième duc de Bourbon, traître honni aux yeux de générations d'écoliers, devait trouver la mort devant Rome en 1527, et le Bourbonnais, donc le Forez, fut annexé par le royaume de France en 1531. Mais ce n'est que cinq ans plus tard, le 25 avril 1536, que François Ier et toute sa cour, après une halte à Saint-Rambert, atteignit Montbrison qui pavoisait.

Avant d'évoquer les festivités qui marquèrent la venue du roi, ouvrons une parenthèse généalogique pour faire remarquer au passage que François Ier descendait en droite ligne de Guy VII de Forez. Le cas n'est pas unique, Maximilien de Habsbourg, Empereur d'Allemagne, Philippe le Beau, roi de Castille eurent également une ascendance forézienne via Guy VII. De même qu’Eléonore de Habsbourg, veuve du roi Emmanuel du Portugal et épouse de François Ier.

Notre-Dame d'Espérance, une des deux collégiales du Forez (avec celle de Saint-Bonnet le Château, le Forez n'eut pas de cathédrale si on fait abstraction de Saint-Charles à Saint-Etienne, très récente). Elle était desservie par un collège de treize Chanoines qui furent l'élite religieuse et sociale de la cité. Elle aurait reçu lors d'un pèlerinage, la visite d'Isabelle Romée, la mère de sainte Jeanne d'Arc, et de sainte Chantal, fondatrice de l'Ordre des Visitandines. Ses cloches les plus grosses se nomment " Sauve-Terre " (8 tonnes) et " Forez " (rebaptisée " Bourbon " quand le pays passa dans les mains des Bourbons). La Collégiale enferme notamment le tombeau de Guy IV, un retable de Fabisch, le reliquaire de saint Aubrin, la vénérable Croix des Saints et un magnifique orgue de Callinet. "Du Forez tu es la plus belle, la plus riche d'un lourd passé majestueuse citadelle que sept siècles ont traversés. O Notre-Dame d'espérance, comme je voudrais te chanter ! Je te connais depuis l'enfance et toute ma vie je t'ai aimée. " Marguerite Fournier, (extrait)

François Ier et sa cour furent accueillis par Claude d'Urfé, bailli du Forez, c'est à dire représentant du roi dans la région. Il était accompagné de son épouse la reine Eléonore, de ses trois fils : le dauphin François (futur François II), Charles, duc d'Angoulême et Henri, duc d'Orléans, de ses deux filles : Madeleine, future reine d'Ecosse, et Marguerite. Également présents : Henri d'Albret et Marguerite d'Angoulême, le roi et la reine de Navarre, le duc de Guise. Au-dessus de la tête du souverain, les quatre consuls de la cité tendirent un dais en damas blanc brodé d'un grand " F " en or surmonté de la couronne royale. L'imposant cortège, accompagné de six cents " Enfants de la Ville " en armes, et précédé de trompettes et de tambourins s'engagea alors dans les rues étroites tandis que toutes les cloches de la ville sonnaient à pleine volée. La famille royale fut hébergée dans la maison du chanoine Paparin à côté de la Collégiale. Le lendemain, dans la collégiale des comtes de Forez, le roi reçut l'hommage et le serment de fidélité des chanoines, des officiers de la ville et de tous les seigneurs de la région. Un " Te Deum " retentit sous les voutes rehaussées d'oriflammes et sur les murs recouverts de tapisseries précieuses. A cette occasion, le roi fut fait chanoine d'honneur du chapitre de Montbrison et reçut des mains du doyen Odon de Buffevent " l’aumusse " du canonicat, une sorte de fourrure portée au bras.

Il faut croire que François Ier s'y plut fort car il y resta seize jours qui furent marqués par de nombreuses festivités. Un tir au pigeon se termina mal et ternit la fête. En effet, un habitant, Pierre Lamoreulx, fut mortellement touché par une balle perdue. Claude d'Urfé ne fut pas peu fier de faire visiter au roi sa Bâtie et les seigneurs de Batailloux (commune de Saint-Marcellin-en-Forez) de l'accueillir.

Pour commémorer cette visite, un panneau de bois sculpté fut apposé sur la maison où fut hébergé le roi. Il se trouverait aujourd'hui à  la Bâtie et représente les armes de France, la couronne, le cordon de l'Ordre de Saint-Michel et deux salamandres. La salamandre étant le symbole emblématique choisi par François Ier, une tradition tenace expliquant qu'elle vit dans le feu.

Le blason de la ville : " de gueules à  la montagne d'or semée d'un château de même, au chef cousu de France ". Elle devrait ses trois fleurs de lys d'or sur bleu-azur (" le chef de France ") à François Ier qui désirait l'honorer pour le très bon accueil qu'il y reçut. C'est un privilège rare.

Certaines traditions relient aussi le surnom d' " anous " donné aux Montbrisonnais à  la venue du roi. Sans doute sont-elles apocryphes, mais elles restent savoureuses. En voilà deux mentionnées par Le Gras (qui fut un compilateur attentif des contes et légendes foréziens) et qui nous informent sur l'origine de ce surnom :

- " François Ier entrait dans Montbrison et le bailli lui lisait sa harangue. Or, tout auprès, un âne, vieux grison complimentait le Sire dans sa langue. En ce moment, rapporte un vieil auteur qu'on aurait tort de supposer menteur, le Roi François, gaillard et bon apôtre leur dit " Messieurs parlez l'un après l'autre ! "

- " D'un vieux vin de Purelle ayant bu deux bouteilles, le Roi dit au bailly, mais sans songer à mal : les gens de ce pays ont, dit-on, des oreilles longues... à faire envie à certain animal... Le bailly répondit : leur longueur vous étonne et Votre Majesté daigne s'en occuper ! Eh ! c'est que nous n'avons encoré trouvé personne capable de nous les couper ! "

Après ces réjouissances, la page la plus noire de l'histoire de Montbrison, qui fit trembler d'effroi la France entière. Elle s'inscrit dans une de ces longues guerres civiles dont les Français furent toujours friands, en l'occurrence les guerres de religion entre Catholiques et Protestants. Les chroniques racontent que le drame était prévisible. Deux mois plus tôt, une pluie de sang n'était-elle pas tombée du ciel dans le couvent Sainte Claire ?

 Le 13 juillet 1562, François de Beaumont, baron des Adrets, chef de guerre protestant, devant les murs de la cité. Il n'était pas seul : 3000 hommes en armes l'accompagnaient. Peu de temps auparavant, il avait pris Lyon et venait maintenant faire rendre gorge à la cité forézienne, restée fidèle à l’Eglise Catholique et Romaine.

D'autant plus que, quelques temps auparavant, un pasteur protestant avait été fait prisonnier à Saint-Bonnet-le-Château. Face à lui le commandant Moncelar était à la tête de 1500 défenseurs. Le Baron donna un ultimatum à la ville. Elle devait ouvrir ses portes, fermer ses églises et se convertir à la réforme ! Refus et le lendemain : assaut. L'artillerie des assiégeants concentra ses tirs sur la " poterle ", une petite porte qui faisait communiquer le parc avec le cloître.

L'attaque se porta aussi du côté de la Madeleine. Les habitants qui n'avaient pas d'artillerie se défendirent désespérément sur les remparts, y compris les femmes. Parmi elles, la femme du bourreau, affublée du sobriquet de " la Bourrelle " et qui, selon certains, hache à la main ne tua pas moins de dix-huit assaillants. Son buste resta longtemps sur la butte du calvaire pour honorer sa mémoire.

Mais une brèche fut ouverte dans les remparts et ce fut la curée, une abominable tuerie à laquelle mit fin un phénomène extraordinaire. En effet bien qu'on fût en plein mois de juillet, quand les jours sont longs, la nuit tomba bien avant son heure.

" Si Dieu n'eût avancé le cours du soleil comme il l'arrêta du temps de Josué il ne fut pas resté un homme vivant en toute la ville ", devait dire Auguste Bernard.

Hélas, le lendemain, l'enfer se déchaina de plus belle. 700 à 800 Montbrisonnais furent massacrés, parfois de manière particulièrement atroce comme le médecin Hippolyte, écorché vif ou bien encore le procureur Canalis. Le gouverneur Moncelar et les notables furent décapités puis le baron des Adrets imagina un divertissement passé dans les mémoires sous le nom de " sault de Montbrison ". Du haut d'une tour du château, les prisonniers étaient jetés dans le vide et venaient s'empaler sur les piques des soldats en contrebas.

On rapporte à ce sujet une anecdote - encore une ! : un captif hésitait à se jeter dans le vide, - Eh quoi ! Te faut-il deux élans ? lui dit le baron. - Je vous le donne en dix répondit le malheureux qui par ce bon mot gagna le droit de vivre.

Dans le même temps, Notre-Dame d'Espérance fut pillée de fond en comble. Comme à la Grand'Eglise de Saint-Etienne plus tard par les troupes de Coligny, les archives furent réduites en poussière. Perte irréparable pour la connaissance de notre passé. Les reliquaires furent volés (en particulier la Rose d'Or, ou églantine disent certains auteurs, que le Pape Clément VI, ancien novice à Montverdun et qui repose à la Chaise-Dieu, en Haute-Loire, avait offert à Jeanne de Bourbon), les vases sacrés brisés, les soieries déchirées. Le tombeau du Comte Guy IV, fondateur de l'église fut profané...

Vingt ans après cet effroyable gâchis, saint Aubrin, saint Patron de la ville qui a la réputation de préserver de la foudre semble avoir expressément déroger à la règle : la foudre frappa le sinistre donjon du château qui s'effondra. La population y vit encore le doigt de Dieu et la ville y gagna une devise aujourd'hui quelque peu oubliée : " Ad expiandum hostile scelus " soit " Pour réparer le forfait de l'ennemi ".

La réforme protestante toucha peu le Forez. Catholique il resta, et même plus pourrait-on dire, en ce qui concerne Montbrison, qui se rangea plus tard du côté de la Sainte Ligue, conduite en Forez par les frères d’Urfé.

IV) Vie intellectuelle et religieuse

Entre les XVIe et XVIIe siècles, au moment où à Saint-Etienne la vie intellectuelle ressemble au désert des Tartares, une intense production littéraire montbrisonnaise fait encore le renom du Forez. Petit tour d'horizon.

En premier lieu les d'Urfé, grande famille forézienne dont le nom reste attaché à leur célèbre Bâtie et à L’Astrée. Ce roman pastoral de 5399 pages qui rencontra à l’époque un succès immense et qui était lu dans toutes les cours d'Europe fut écrit par Honoré d’Urfé et fut édité entre 1607 et 1627. Il fit du Forez une nouvelle Arcadie emplie de bergers et de licornes. C'est avant tout un roman d'amour (en particulier du couple Céladon-Astrée) mais aussi une synthèse à l’échelle géographique locale des grands mythes fondateurs de l'Europe. Etrange mélange de mythologie grecque, de données païennes et de philosophie humaniste. Anne d'Urfé, le frère du précédent, bailli du Forez en 1574 fut aussi un poète. Ses écrits les plus touchants sont ceux qu'il écrivit à Marguerite de Lupé, un amour de jeunesse (cette famille a donné son nom à un village du Pilat). Marié à Diane de Chateaumorand (laquelle devait épouser plus tard - c'est Dallas ! - son frère Honoré), il se fit prêtre et finit ses jours en qualité de doyen de la Collégiale. A Antoine, le troisième frère, abbé de la Chaise-Dieu abattu à Villerest, nous devons un dialogue : De l'honneur.

Jean Papon, " le grand juge du Forez " qu’Honoré d'Urfé a représenté dans son Astrée sous les traits du druide Adamas fut le Lieutenant Général du bailli Claude d'Urfé. Dans son château de Goutelas, il écrivit de nombreux ouvrages de jurisprudence et traduisit Erosthène et Cicéron. Ses fils Etienne et Loys furent aussi des écrivains. Au second nous devons la fameuse Pastorelle. Cette pièce en cinq actes relatant la victoires des Princes Lorrains sur les Protestants fut jouée dans la salle de la Diana. Elle combina pour la première fois le théâtre, la danse et le chant en même temps qu'elle innovait dans le domaine de l'éclairage et la mise en scène. On doit aussi à Loys Papon un Discours à Mademoiselle Pamphile.

Etienne du Tronchet, secrétaire de Catherine de Médicis écrivit en 1568 « Lettres missives et familières » qui fut un " best-seller " immense. Pas moins de 28 rééditions jusqu'en 1623. On lui doit aussi ces bons mots un peu méchants : " Cette pauvre ville de Montbrison manque tant de nouvelles qu'on y apprit hier la chute de Troie. "

Citons encore les Paparin, Etienne qui fut un commentateur assidu des Psaumes de David et son neveu Gaspard, chanoine qui se fit ermite dans les gorges sauvages du Vizézy. Il écrivit Le miroir du dévôt chrétien et la religieuse Sophie. Claude de La Roue, Consul de la ville nous a légué ses mémoires et Jean du Crozet a écrit La Philocalie, un autre roman pastoral.

Enfin les Verdier ; Antoine de Verdier, gentilhomme de la chambre du roi possédait une des plus belles bibliothèques de son temps. Et mieux encore il la connaissait par coeur et dans de nombreuses langues. Il publia en 1585 La bibliothèque d'Antoine du Verdier, une sorte d'encyclopédie bibliographique, un catalogue de livres. La peste lui enleva sept fils et il ne lui resta que son fils Claude qui fut un honnête poète.

Outre les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et les chanoines de la collégiale déjà évoqués, plusieurs églises et de nombreux ordres monastiques ont valu à la cité d'être qualifiée de centre religieux.

Les paroisses furent au nombre de quatre : Sainte Madeleine, Saint-André, Saint-Pierre et Sainte-Anne. Pendant longtemps, d'un point de vue religieux, Montbrison fut placé sous la juridiction du Prieuré de Savigneux (donc de son prieur). Les paroisses de la ville étaient donc des sortes de "filiales" du Prieuré de Savigneux et les prêtres les desservant étaient les " vicaires " du prieur.

La plus ancienne des paroisses fut celle de la Magdeleine, composée en majorité de gens pauvres vivant hors-les-murs, laboureurs, vignerons etc. En 1163, un roi de France, Louis VII s'y arrêta au retour du Puy pour y entendre la messe. La paroisse fut rattachée en 1796 à celle de Saint-Pierre. L'église paroissiale de la Madeleine n'existe plus de nos jours. Il n'en reste qu'un vestige : un bas-relief représentant la Sainte étendue à terre dans une attitude de repentir. Si l'on en croit Marguerite Fournier dans Montbrison, cœur du Forez, ce bas-relief se trouve désormais au n° 20 de la rue Puy-de-la-Bâtie, au-dessus de la porte d'un immeuble.

L'église Saint-André resta longtemps la principale église de Montbrison. Elle n'existe plus et s'élevait à la place de l'actuelle rue Francisque-Reymond. Dommage, elle devait faire une forte impression avec ses vingt et une chapelles desservies par de nombreux prêtres. Elle dépendait de Savigneux jusqu'en 1453 pour tous les actes de catholicité quand le Pape Martin V l'autorisa à élever des fonts baptismaux et à établir un cimetière. Elle fut détruite en 1972.

L'église Saint-Pierre actuelle a été construite à l’emplacement de l'ancienne, démolie en 1869. Etrangement, cette jeune église se trouve dans le quartier de Montbrison qui a le mieux gardé son aspect ancien. Cette paroisse se trouvait à l’origine dans l'enceinte même du château et fut toujours la paroisse des officiers de la magistrature qui s'y réunissaient pour prier. La tradition s'est maintenue et de nos jours encore (?) c'est à Saint-Pierre qu'avait lieu en octobre la messe annuelle du Saint-Esprit lors de la rentrée du tribunal.

Aujourd'hui, les nombreux couvents de Montbrison abritent des services publics. Commençons par le plus ancien de la ville reconverti (entre autres) en Hôtel de ville, nous avons nommé le couvent des cordeliers.

Sa fondation remonte au XIIIe siècle, peu de temps après la mort de saint François d'Assise (1226), fondateur de l'ordre qui porte son nom (Franciscains ou Frères Mineurs) et dont les Cordeliers sont issus. Ce monastère aurait été un des premiers en France à mettre en œuvre la règle de vie de saint François (prédication, prière et pauvreté).

L'ensemble monastique était composé de trois corps : le bâtiment central (Hôtel de Ville) et deux ailes c'est à dire la chapelle (en réalité une vraie église) et les bâtiments annexes (cellules, écuries...). Un mot de l'église du monastère. Il dut être un édifice remarquable tant par son architecture extérieure que sa décoration intérieure. Elle était surmontée d'une flèche abattue par la foudre en 1768, un chef-d’œuvre de maçonnerie, légère et ornementée s'élevant au ciel comme une aiguille à la manière de la mythique Sainte Chapelle de Paris.

Ce " Saint-Denis " du Forez était aussi la dernière demeure des grands seigneurs de la région, une nécropole abritant les tombeaux des Couzan, des Lavieu, des d'Albon. Tout fut saccagé à la révolution. La salle capitulaire (aujourd'hui Bibliothèque municipale au rez-de-chaussée de l'Hôtel de ville) fut mise, par les moines, à la disposition des Montbrisonnais dès le XVe siècle. C'est là que furent prises les décisions de fonder de nombreux établissements éducatifs : le collège des Oratoriens, l'école de filles confiée aux sœurs ursulines, etc.

Les frères cordeliers de Montbrison bénéficièrent dans tout le Forez d'une immense popularité. 20 000 personnes se pressèrent un jour au " Pré Saint-Jean " pour entendre les paroles du frère Jehan Bourgeois ! Ils accueillaient les pauvres et les voyageurs, participaient activement à la vie de la cité. C'est grâce à leur générosité que la municipalité put faire construire une halle aux grains qui subsista longtemps encore après la révolution. L'histoire du couvent fut aussi une longue suite de malheurs : dévastation par les Protestants en 1562, incendie en 1643 et 1731. En 1768 c'est la foudre qui détruit le clocher. En 1791, ils furent chassés par les jacobins et leur mobilier fut vendu aux enchères.

Les Clarisses, sœurs de sainte Claire (800 en France, 18 000 dans le monde) sont toujours présentes à Montbrison, justifiant la prédiction de sainte Colette qui passant par Montbrison en 1432 prophétisa qu'on élèverait ici un monastère et qu'il durerait jusqu’à la fin des temps ! Comme les cordeliers, elles obéissaient à la règle de saint François. Leur ordre doit son nom à sainte Claire, l'alter égo féminin de François d'Assise.

Nous devons sa fondation locale à Pierre II d'Urfé, conseiller de Charles VIII qui lors d'un combat en Orient contre les Turcs détruisit une église. Pour se racheter, il décida d'établir un couvent de Clarisses à Montbrison. Pourquoi les Clarisses en particulier ? Sans doute parce que sa propre sœur était entrée dans cet ordre à Moulins. Le 15 novembre 1496, il obtint de son ami le Pape Alexandre VI Borgia l'autorisation de fondation. En 1500, le couvent fut achevé et les onze premières moniales vinrent du Puy, de Moulins, de Genève. Il fut toujours protégé par la famille d'Urfé et nombreuses furent les filles de cette prestigieuse famille forézienne, au cours des siècles à y prendre l'habit monacal. D'eux d'entre elles y furent mères abbesses.

Ce monastère devait jouir également d'une bienveillante attention de la part des rois de France. Jusqu’à Louis XVI qui du fond de sa solitude, attendant son exécution, fit parvenir un peu d'argent à ces " Pauvres Dames " persécutées par les sans-culottes ! A l'origine installé à l’emplacement de l'actuel square Honoré d'Urfé, le couvent des Clarisses qui souffrit maintes péripéties durant ses cinq siècles (et pas des plus gaies) est aujourd'hui à l’entrée de Montbrison sur la route de Saint-Romain-le-Puy.

L'ancienne chapelle Sainte Marie de la Visitation (ou des Visitandines) transformée plus tard en palais de justice. C'est devant ses marches que l'anarchiste Ravachol fut guillotiné pour le meurtre de l'ermite de Chambles.

Le couvent des soeurs Visitandines fut souhaité par les Montbrisonnais. Cet ordre qui s'occupait de l'instruction des jeunes filles fut fondé par sainte Jeanne de Chantal qui vint à Montbrison visiter sa communauté locale forte d'une quarantaine de membres. Les sœurs furent chassées à  la révolution. La chapelle du couvent fut par la suite le siège du palais de justice.

Au XVIIe siècle, les Montbrisonnais décidèrent l'établissement d'une Institution placée sous la direction des sœurs Ursulines qui dans la région avaient fait leurs preuves. C'est d'ailleurs une jeune et noble novice de la maison de Saint-Chamond, Marie Chapuis de la Villette (18ans), qui devint la fondatrice de la Maison de Montbrison. Elle mourut à l’âge de 21 ans et repose aujourd'hui encore dans la chapelle de l'ancien couvent.

Le couvent des ursulines connut une grande prospérité mais la révolution mit fin à son aventure ; il abrita une caserne puis une école, puis un petit séminaire et enfin l'actuel collège Victor de Laprade. L'aspect religieux du lieu est bien conservé, la Vierge est toujours présente dans la cour et la chapelle est agrémentée d'une superbe fresque du R.P. Couturier qui évoque certains personnages de l'Histoire dont le nom est lié à notre Forez : le curé d'Ars, saint Jean-Pierre Néel etc.

En 1648, un second couvent des Ursulines fut fondé à Montbrison par Emmanuel de Lascaris d'Urfé qui en posa la première pierre. Il abrite aujourd'hui (et depuis 1751) la maison de retraite.

Pour finir ce modeste exposé sur la vie religieuse montbrisonnaise, un mot de la chapelle des Pénitents, transformée aujourd'hui en théâtre. Elle doit son nom à une confrérie d'hommes de tous âges et de toutes conditions qui exista jusqu'en 1875. Sur la façade de la chapelle, deux dates : 1591 (création de la Confrérie) et 1731 (érection de la chapelle), deux inscriptions en latin : " Soboles Confalonis " (" les Compagnons de Confalon ") et " Soli Deo " (" A Dieu seul "). La chapelle est attribuée à l’architecte Soufflot.

Nous avons évoqué au gré des paragraphes les noms de saints fameux qui vinrent à  Montbrison : répétons-les une fois, tous ensemble : sainte Colette, réformatrice de l'Ordre de sainte Claire, sainte Jeanne Chantal, fondatrice des Visitandines, le curé d'Ars qui affronta toute sa vie le Démon au sein de sa petite église du Rhône, saint Jean-Pierre Néel qui marcha au-devant du martyre en Chine. Avouez que ce n'est quand même pas mal pour une petite ville de province !

 V) La Révolution à Montbrison

Face à la grave crise économique et sociale que traversait le royaume, le roi Louis XVI convoqua pour le 5 mai 1789 les Etat Généraux du royaume, c'est à dire les représentants de chacun des trois ordres: Noblesse, Clergé et Tiers Etat. Les mois qui précédèrent cette date (qui marque le début de la Révolution française, un des plus grands chamboulements politiques de l'histoire des hommes) furent marqués par une immense effervescence.

Dans chaque bailliage ou sénéchaussée de chaque généralité ou province de France (le Forez, rappelons-le, fait alors partie de la généralité de Lyon avec le Lyonnais et le Beaujolais), les trois ordres devaient élire leurs représentants qui feraient le grand voyage à Paris, avec sous le bras leur " cahier de doléances ", c'est à dire un résumé des réformes proposées et des abus constatés, en somme un recueil de plaintes.

Concernant la noblesse, petite ou grande et du clergé, pauvre ou riche, les choses étaient relativement simples étant donné leur faible importance numérique. Tous les nobles et religieux de chaque circonscription se réunirent pour élire leurs députés. 

Mais il n'en allait pas de même avec le Tiers Etat qui constituait la très grande majorité de la population française. Lors d'un premier tour, les assemblées dans les villes et villages choisirent leurs députés, puis une seconde fois, dans le chef-lieu de la circonscription. C'est dans la chapelle des Pénitents que se réunirent le 9 mars 1789, les 700 représentants du Tiers Etat venus y apporter les 292 " cahiers de doléances ". 

De ces cahiers, des commissaires devaient faire une synthèse pour aboutir à un seul cahier de doléance pour le Tiers Etat du Forez. Trop nombreux aussi, les représentants choisirent finalement 18 députés pour Saint-Etienne, 61 pour Roanne et 107 pour Montbrison.

Enfin, huit jours plus tard, le 16 mars, se tinrent dans ce même lieu, les Etats Généraux du Forez, réunissant les trois ordres sous la présidence du bailli du Forez, le marquis de Rostaing, escorté par la milice bourgeoise. Ces Etats Généraux du Forez désignèrent, pour chaque ordre, les députés qui devaient aller à Versailles. La messe fut d'abord célébrée puis chacun des députés présents vint prêter serment au bailli " d'être fidèle au roi et à la patrie ". Ensuite, chaque ordre se sépara en un lieu distinct pour désigner les députés qui se rendraient en leur nom aux Etats Généraux du royaume. Le clergé tint son assemblée à la Diana, la noblesse dans le couvent des Cordeliers, le Tiers Etat demeurant dans la chapelle des Pénitents.

Huit députés furent désignés pour le Forez. Les abbés Goulard de Roanne et Gagnière (de St Cyr-les-Vignes) pour le clergé, le comte de Grésolles et le chevalier Nompère de Champagny (un héros de la guerre d'indépendance américaine originaire de Roanne) pour la noblesse et le marquis de Rostaing pour le Tiers Etat ! Ce héros de la guerre d'indépendance américaine, compagnon de La Fayette, fut élu à l’unanimité. Il fut l'un des huit nobles élus par le Tiers Etat dans tout le royaume. Une spécificité forézienne qui ne sera pas la dernière. Avec lui, le bourgeois Jamier (de Montbrison), Richard de Maisonneuve (de Bourg-Argental) et Delandine (avocat de Néronde) représentaient le Tiers Etat.  Les députés foréziens firent bloc à Versailles. Le marquis de Rostaing prêta le serment du Jeu de Paume ( " ne pas se séparer avant d'avoir donné une Constitution à  la France ") et Nompère de Champagny, puis les abbés Goulard et Gagnière, rejoignirent le Tiers Etat. En juillet, la prise de la Bastille est fêtée à Montbrison par un Te Deum à la Collégiale et par des illuminations. Quelques jours plus tard, l'hystérie de " la Grande Peur " n'épargne pas la ville et des milices sont créées pour faire face à des troupes de brigands ou de royalistes inexistantes.

Le 13 janvier 1790, parmi les 83 départements créés figure le département de Rhône-et-Loire. Il correspond à l’ancienne généralité de Lyon, la capitale des Gaules en étant le chef-lieu. Au cours des mois suivants, les différentes villes du Forez élurent leurs maires. A Montbrison, c'est Barrieu qui fut choisi.

Deux autres évènements importants marquèrent la vie de Montbrison durant l'année 1790. D'abord la disette qui provoqua plusieurs émeutes. En mai, le maire dut faire intervenir la garde nationale et la maréchaussée et interdire les rassemblements de plus de trois personnes et surtout lever une imposition de 8000 livres afin d'acheter des grains " pour le soulagement des pauvres ". Ensuite la fête de la Fédération, marquant le 1er anniversaire de la prise de la Bastille et l'union du Roi et de la Nation. 

A Montbrison, elle fut l'occasion de réjouissances certes plus modestes qu’à Paris mais qui sont restés dans les mémoires. Le Parc (la " pépinière du Roi ") fut le lieu de l'anniversaire. Une foule immense s'y pressa pour entendre la messe dite par quatre prêtres autour d'un autel à quatre faces surmontées d'une flèche de 36 pieds, en haut de laquelle flottait une oriflamme. Le maire Barrieu prêta serment de fidélité au Roi, à la Loi et à la Nation et de maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée constituante. Puis il reçut à son tour le serment des officiers, soldats et citoyens. Un Te Deum et des illuminations cloturèrent la cérémonie.

Le 12 juillet 1790, l'Assemblée avait voté la Constitution Civile du Clergé. Celle-ci mettait fin au Concordat de 1516 et prévoyait que l'Eglise de France ne dépendait plus de l'autorité du Pape. Certains évêchés étaient supprimés et les évêques qui désormais devaient être élus ! Par ce moyen, l'Assemblée constituante entendait subordonner la religion au pouvoir civil. Cette mesure devait provoquer partout en France de vives oppositions et des heurts parfois violents. Les chanoines de Montbrison, privés de leur chapitre protestèrent : " Nous pouvons céder extérieurement à l’autorité séculière qui supprime et qui détruit, mais nous n'obéiront d'esprit et de coeur qu’à la voix de celui qui est le chef de notre église (le Pape)."

A la fin de l'année 1790, la situation nationale commença à se radicaliser vis à vis du clergé et l'assemblée constituante prit, vis à vis des religieux, une mesure qui allait plonger toute la France et en particulier l’Ouest dans une guerre civile abominable. Le 26 novembre 1790, elle vota en effet un décret imposant aux prêtres de prêter serment à la Constitution, au roi, à la Nation, à la loi etc. Un mois plus tard, le roi est contraint de le signer. Le même jour, les chanoines sont expulsés de leurs maisons devenues biens nationaux. On laisse les Clarisses momentanément tranquilles mais, puisque les habitants viennent nombreux assister à la messe, la chapelle du monastère est murée ! D'autres religieuses, Visitandines et Ursulines sont chassées également. Les biens et meubles furent inventoriés par les autorités.

Le 5 décembre 1790, l'archevêque de Lyon dénonce la Constitution Civile du Clergé et refuse de prêter serment. Le 10 mars 1791, le Pape Pie VI la condamne catégoriquement.

Jusqu' à cette triste affaire, le clergé forézien et avec lui la grande majorité de la population était acquis à la Révolution. La condamnation de la Constitution Civile du Clergé en 1791, puis en janvier 93, l'exécution du roi Louis XVI allait le diviser en profondeur. 

Les massifs montagneux, qu'il s'agisse du Pilat, des Montagnes du Soir ou du Matin furent le foyer d'une agitation contre-révolutionnaire permanente et, si cet affrontement n'a pas eu l'ampleur de ce qui se passa en Vendée (comme serait-ce possible ?), le Forez constitua à cet égard une de ces " petites vendées " qui essaimèrent partout en France, et notamment dans le massif central. 

En règle générale, en revanche, la plaine et le bassin stéphanois restèrent acquis aux idéaux révolutionnaires. Le cas de Montbrison semble devoir être nuancé. Début 91, les prestations de serment furent assez nombreuses mais après que Lamourette, nouvel archevêque de Lyon ait été condamné par le Pape comme " usurpateur ", les rétractations se multiplièrent dans tout le Forez. Dans le Montbrisonnais, elles furent au nombre de 14 et c'est en vain que les autorités civiles réclamèrent des citoyens la dénonciation des réfractaires. L'église de la Madeleine devint " un repaire du fanatisme " où plus d'une vingtaine de prêtres clandestins continuaient à dire la messe. Les religieux réfractaires, tenus de quitter la France, prirent le maquis, dans les montagnes où les paysans leur donnèrent asile.

En 1792, Notre-Dame fut transformée en caserne pour près de 10 000 hommes, fantassins et cavaliers avec leurs chevaux. Les armées européennes se pressant aux frontières et menaçant la Patrie, des bataillons sont en effet levés dans tous les départements. Le plomb des vitraux et celui des orgues est fondu pour fabriquer des balles. Les cloches de la Collégiale subissent le même sort à l’exception de la plus grosse, " Sauve-Terre ".

Où l'on fait connaissance avec Javogues, une des grandes figures de l'histoire du Forez. Né à Bellegarde où sa maison natale existe toujours, en 1759 ; ancien avocat, il fut le terrible " commissaire du peuple " de la Convention dans le Forez. L'histoire de la révolution dans le Forez (ou plutôt de la Terreur) est intimement liée à son nom. Le 17 janvier 1793, il faisait partie des cinq députés foréziens qui votèrent la mort du roi avec Pointe-Cadet, Dupuis, Dubouchet et Moulin quand trois autres, Béraud, Forest et Michel, se prononcèrent pour la détention. Louis XVI fut guillotiné le 21 janvier 1793 et sa mort suscita dans le Forez des réactions violentes. La porte de la maison de Javogues à Montbrison fut badigeonnée de sang. En février était décrétée la levée en masse. Le district de Montbrison devait fournir 1065 hommes. Nombreux sont ceux qui allèrent se cacher dans les bois. " Montbrison est dans un état de contre-révolution ouverte «, devait écrire Javogues.

Lyon fut le déclencheur de la guerre fratricide. Le 29 mai la capitale des Gaules se souleva contre la dictature jacobine et entraina le Forez dans la tourmente. Le général de Précy leva une armée dans laquelle de nombreux Foréziens s'enrôlèrent. Montbrison soutenait Lyon où l'anarchie régnait, tandis que Saint-Etienne désapprouvait l'insurrection. A Paris la Convention décida d'envoyer une armée mater la révolte lyonnaise, commandée par Kellermann. Lyon menacée avait grand besoin des armes stéphanoises et du blé de Montbrison. Un détachement lyonnais de plusieurs centaines d'hommes arriva à Montbrison tandis qu'un autre de 1200 soldats parvenait à Saint-Etienne où il enleva des milliers de fusils. Devant la menace des quartiers populaires stéphanois, il se retira ensuite vers Montbrison. De là, les Muscadins (terme donné par les jacobins aux insurgés lyonnais), auxquels se joignirent 300 habitants commandés par la Roche-Négly, de Haute-Loire, gagnèrent Saint-Anthème et firent prisonnier la garnison républicaine et son chef le général Nicolas. Cette troupe défit encore 3000 paysans armés (?) à Salvizinet dans les Montagnes du matin dont une cinquantaine auraient été tués. A Feurs, le maire fut promené à califourchon sur un canon.

C'en était trop pour la Convention qui commença d'abord par détacher le Forez de Lyon. Le 12 août 1793 marqua la naissance du département de la Loire avec Feurs pour chef-lieu. Elle dépêcha ensuite deux colonnes contre Montbrison la rebelle. Une d'entre elles, forte de 400 hommes, venant par le nord, l'autre, 800 hommes et quatre canons, venant par le sud, sous le commandement de Javogues. Le 8 septembre, Montbrison fut évacuée par les Muscadins qui tentèrent de se replier vers Lyon via Chazelles. Le château de Montrond où ils s'étaient cantonnés fut incendié par Javogues. A Chazelles, les combats furent meurtriers. Les rescapés parvinrent à rejoindre Lyon avec maintenant, sur leurs talons, près de 10 000 hommes venus d'Ardèche, du Cantal... Lyon, définitivement encerclé, capitula le 9 octobre après des combats meurtriers où des Foréziens dans les deux camps se massacrèrent.

Débutèrent les règlements de compte et les grands massacres. Tandis qu’à Lyon, rebaptisée " Ville afranchie ", 1665 insurgés étaient mitraillés au canon dans la plaine des Brotteaux (et 225 Foréziens parmi eux), et que de Précy, le chef de l'insurrection se cachait à Sainte-Agathe-en-Donzy, Javogues commanda la démolition des remparts de Montbrison. Et il ordonna sur les ruines l'érection d'une colonne portant ces mots : " La ville de Mont-Brisé a fait la guerre à la liberté. Elle n'est plus. " . La Terreur s'installa, tout du moins dans la plaine car les montagnes restèrent en partie inaccessibles aux troupes jacobines. La chasse à l’homme fut d'ailleurs stimulée par l'appel à  la délation. 310 noms furent publiés à Montbrison. La guillotine arriva à Feurs le 22 novembre. Peinte en rouge, elle était manœuvrée par Louis Farroux, le fils de l'ancien bourreau de Montbrison. Les premières têtes tombèrent, notamment celle d'un notaire montbrisonnais, Michel Goyet qui avait pourtant sauvé 15 personnes lors d'une crue de la Loire. Les juges restèrent inflexibles. Entre le 23 novembre et le 9 décembre 1793, le tribunal révolutionnaire condamna à mort 15 personnes dont Jamier, ancien député du Tiers Etat aux Etats Généraux et maire de Montbrison. Encore 21 autres suivirent. Puis d'autres encore. Les exécutions se déroulaient à Feurs, le plus souvent par fusillade. La guillotine fonctionna à Feurs une demi-douzaine de fois et trois fois à Montbrison. Au total, environ une centaine de Foréziens furent condamnés à mort et exécutés dans la Loire.

Javogues accentua aussi la politique de déchristianisation. Les Croix sont arrachées quand les habitants ne les enterrent pas pour les soustraire aux griffes jacobines. Les objets liturgiques et les vêtements sacerdotaux de Montbrison sont enlevés par les soldats et brulés au Parc. Les habitants sont appelés à participer en jetant leurs livres de prières. Les dénonciations de prêtres réfractaires sont récompensées de 100 livres. Les Clarisses gagnent les montagnes.

Début 94, Javogues fut rappelé à Paris par la Convention. Devenu adepte de Gracchus Baboeuf, précurseur du communisme, il fut compromis dans une intrigue et condamné à mort. Il fut fusillé le 10 octobre 1794 devant l'école militaire. Pour l'anecdote, c'est le père de Victor Hugo qui commanda le feu.

" Un ennemi de l'Humanité, de la Justice s'étant livré à  des orgies scandaleuses " écrivit à  son propos la Société Populaire de Saint-Galmier. Sa mort fut célébrée par cette chanson patoise : " La savez-vous, La mô do citoyen Javogues ? Plouras catzins, plouras couquins. Vous devenez tous orphelins ! "

Montbrison, qui retrouva son nom et son titre de chef-lieu du département, au grand dépit de la ville de Saint-Etienne, déjà  cinq fois plus peuplée, reçut en prime le tribunal civil et criminel.

Cette fois, ce sont les contre-révolutionnaires qui réglèrent leurs comptes. 17 assassinats commis par les " assommeurs ", parfois des proches des victimes de Javogues. Celui-ci n'avait pas réussi, malgré son ardeur, à massacrer tous les Blancs. Au contraire il en fabriqua à la pelle. 

A la même époque, Antoine Croizier " le roi de Chevrières " règne sur les Monts du Lyonnais avec ses chouans, redressant la nuit les calvaires que les Bleus abattent le jour. Les " compagnons de la Ganse Blanche " arrachent les arbres de la Liberté dans les Monts du Forez, enflammés par les prêches de paysannes prophétesses et par la présence d'un enfant que l'on dit être le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette ! Et les " compagnons de Jésus et du Soleil " jouent du couteau à Saint-Etienne. C'est aussi le temps où assister à la messe dans les sous-bois peut coûter cher.

Et dans la plaine, Montbrison et ses environs restait un foyer d'insurrection. L'église clandestine y était toujours active, à tel point que l'abbé réfractaire Jacques Linsolas, auteur de L'Eglise clandestine de Lyon pendant la Révolution vint en 1796 lui apporter son soutien. Et le 21 janvier, date anniversaire de la mort de Louis XVI, on y chanta en pleine rue " Le réveil du Peuple ", un chant royaliste.

Cette même année, un combat sanglant se produisit à Champdieu. L'affaire commença à Montbrison quand une patrouille arrêta un prêtre réfractaire, le père Cherbuet, dit " l'Evêque ", qui rejoignit dans les cachots quatre autres réfractaires. Les royalistes s'organisèrent, et dans la nuit du 7 au 8 Floréal an 4, formèrent des attroupements non loin de Montbrison. Une rumeur se répandit alors dans les rues de la cité : les contre-révolutionnaires vont prendre la ville et égorger tous les sans-culottes. Dans les maisons amies brilleraient des lampions aux fenêtres, comme signe de reconnaissance. La troupe et les gendarmes, environ 70 hommes, se dirigèrent alors vers le village de Champdieu où se trouvait le nid de la conjuration. Et ce fut l’embuscade. Le capitaine de gendarmerie Guillot fut blessé grièvement ainsi qu'un caporal. Une douzaine de " brigands " furent tués et dix autres prisonniers furent emmenés vers Montbrison, tandis que 200 de leurs compagnons gagnaient les montagnes, pour de prochaines actions.

VI) De 1800 à nos jours

Plan de Montbrison d'après les sources

Sous le premier Empire, la vie politique montbrisonnaise fut assez calme mais il est vrai que la censure de plomb ne laissait guère s'exprimer les oppositions. Les habitants vivent au rythme des Te Deum saluant à la Collégiale les victoires de Napoléon. 

Les fêtes accompagnant le mariage du Corse avec Marie-Louise d'Autriche furent l'occasion de célébrer les épousailles entre anciens soldats de la grande Armée et jeunes filles dotées par l'Empereur. C'est aussi le temps des conscriptions, et nombre de jeunes gens qui ne souhaitent pas aller batailler aux confins de l'Europe gagnent les forêts foréziennes. Il faut dire que Montbrison, depuis une quinzaine d'années, avait pris la culture du maquis. D'autant plus que la ville resta longtemps royaliste, et pour beaucoup d'habitants, Napoléon n'était qu'un " brigand ". 

Quelques années plus tard, en 1833, lors du procès des compagnons de la duchesse de Berry ( qui avait tenté de soulever à  nouveau la Vendée blanche), l'opinion publique locale très favorable, en fera encore la démonstration; de même qu'en lançant une souscription pour l'édification de la chapelle des Martyrs de la Terreur de Feurs. A cette époque (1810-1815), Montbrison fut aussi une prison pour un millier de prisonniers hispaniques, incarcérés à la caserne de Vaux. Pour 187 d'entre eux, la ville fut leur tombeau. Ces prisonniers étaient affectés à des taches de travaux publiques, notamment la construction du bief qui porte leur souvenir : " le bief des Espagnols ". Et puis le temps passa, Napoléon tomba, remplacé par des Rois qui furent chassés par une République, laquelle fut remplacée par un autre Napoléon, supplanté définitivement par la République. Quelques noms d'habitants sont dignes de rester dans les mémoires : Le Vicomte de Meaux qui fut maire de la cité, ministre de l'agriculture sous la Restauration et historien. Victor Fialin, duc de Persigny, un autre Forézien, ministre de l'intérieur de Napoléon III on lui doit le percement du canal du Forez et la fondation de la société de la Diana. Victor de Laprade (1812-1883), écrivain et poète, membre de l'Académie Française et successeur au fauteuil d'Alfred de Musset.

Au registre des évènements, quatre en particulier sont à retenir : l'épidémie de variole qui fit 54 morts en 1848, la venue du Maréchal de France et duc de Mac-Mahon en 1876. Somptueusement accueilli, il profita de son séjour pour diriger des manœuvres vers Boën-sur-Lignon. En 1892, la décapitation de l'anarchiste Ravachol, condamné pour le meurtre de l'ermite de Chambles. Et enfin, et surtout, le 1er février 1856, le transfert de la Préfecture de la Loire vers Saint-Etienne. Montbrison n'est plus le chef-lieu du département mais elle restera toujours le cœur historique du Forez.

Le 1er août 1914, le tocsin sonna à  Montbrison. La grande guerre débutait pourtant dans la ferveur. Il s'agissait de défendre la Patrie et de récupérer l'Alsace et la Lorraine, annexées en 1870 par les Prussiens. Le 6 août, c'est sous une pluie de fleurs que les soldats du 16ème régiment d'infanterie partaient au front. Le maire, le docteur Rigaudon, montra l'exemple et demanda sa mobilisation. Il reviendra dans son Forez en 1918, âgé de 70 ans ! Le 16ème RI (dissous en 1923) a perdu entre 1914 et 1918, 65 officiers, 147 sous-officiers et 2151 soldats. La caserne de Vaux quant à elle abrita en 1927 deux pelotons de la garde Républicaine de la 4ème Légion, puis la gendarmerie en 1946. Elle fut détruite en 1980 et la ville n'en garda que sa porte, classée Monument historique.

La porte de Vaux, classée M.H., vestige de la caserne du même nom construite au XVIIIe siècle. Elle porte le nom de Jourda de Vaux, d'origine vellave et forézienne, conquérant de la Corse.

 Parmi les morts, notons le nom de Joseph Déchelette, archéologue originaire de Roanne et membre éminent de la Société de la Diana, et Emile Raymond sénateur et pionnier de l'aviation. Ce dernier trouva la mort en 1914 (comme Déchelette) après que son avion fut abattu. Le président Deschanel qui était un de ses proches devait venir le 24 mai 1920 lui rendre hommage et inaugurer le monument aux morts montbrisonnais. Hélas, le président tomba du train en pleine nuit et Montbrison, qui s'était faite belle, inaugura seule son monument !

Avec le pauvre Deschanel, en pyjama au milieu d'une voie ferrée, s'achève notre modeste exposé sur l'histoire de Montbrison.


Sources:

- Article repris sur le site forez-info.com (2007 - 2023)

- Source fournie par Nano.M pour le plan: Dictionnaire des châteaux et des fortifications du moyen-âge en France, Charles-Laurent Salch, éditions Publitotal.


Photos:

- Jimre (2023)


Posté le 07-03-2023 13:38 par Jimre