Crémieu

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Histoire de Crémieu

Voici une compilation de textes récupérés dans la ville de Crémieu et sur la "Toile".

Pour qui s'essaye à suivre le parcours de Mr Raverat dans la troisième partie sur Géoportail, il est amusant de retrouver encore tout ou partie des étapes de la description de son voyage de Lyon à Crémieu.

Bonne lecture et bon surf 8;-)))

Partie 1: D'après les panneaux disposés dans toute la ville :

Crémieu apparaît dans l'histoire au 12e siècle. A cette époque, un prieuré bénédictin s'établit au sommet des falaises de Saint-Hippolyte.

Toutefois, la première ville s'implantera à distance, tout au long du 13ème siècle, sur les pentes sud de la colline Saint-Laurent que dominent les murailles du château Delphinal réédifié à partir de 1282 par les Dauphins de la Tour. En 1315, une charte de franchises accorde de nouvelles libertés aux habitants ainsi que d'importants privilèges commerciaux. C'est pour la ville le signal d'une période de prospérité installée pour deux siècles. La construction d'une nouvelle halle est entreprise en 1434 ainsi que l'édification d'une vaste enceinte fortifiée de près de deux kilomètres, armée de neuf portes et de quatorze tours. Cette enceinte englobera à la fois le château Delphinal, la ville ancienne et les falaises de Saint-Hyppolyte mais aussi l'emplacement d'une nouvelle ville implantée en contrebas au contact d'un couvent des Augustins. En 1337-39, la création d’un atelier monétaire à Crémieu consacre l'essor économique de la ville.

A partir du règne de Louis XII (1498-1515), Crémieu bénéficie de la position stratégique qu'elle occupe sur l'Itinéraire des expéditions françaises en Italie. La ville consolide alors son rôle de centre du commerce des grains entre la France, la Savoie, la Suisse et l'Italie, Desservie par le percement de nouvelles portes (1535), la réalisation de la ville basse, sur le tracé régulièrement planifié des villes neuves médiévales, prend forme définitivement à la charnière des 15e et l6e siècles. Le 17e siècle est à Crémieu, le siècle des couvents qui prennent alors possession d'une ville dont l'activité commerciale s'affaiblit. Les Capucins s'installent en 1615, les Pénitents Blancs en 1619, les Visitandines en 1627, les Ursulines en 1633, l'Hôpital Notre-Dame du Reclus en 1675. A la fin du 17e siècle, s'achève l'édification de l'église Saint- Jean. Sanctionné en 1702 par la suppression des foires annuelles instaurées au 14e  siècle, le déclin économique  de la ville incite les habitants  à développer au 18e siècle l'industrie textile et du cuir. En 1710, les tanneries, les cordonneries, les filatures et carderies de laine et de chanvre occupent près du quart de la ville. Avec le siècle suivant, le plateau de l'Isle-Crémieu et sa capitale endormie au pied des murs de son château et de ses remparts, commencent déjà à séduire les paysagistes autour  de Corot ainsi que les voyageurs, excursionnistes et amateurs de pittoresque.   

LES HALLES

Attribuées au début du 14e siècle,(1315-1321), les halles de Crémieu résultent cependant de deux campagnes de constructions distinctes que permet d'identifier l'étude des marques de charpentiers.

La halle abritait les mesures publiques dont l'usage faisait l'objet de réglementation strictes.

L'implantation de ces nouvelles halles qui remplaçaient le « marché-vieux » est liée étroitement à la mise en œuvre d'une véritable ville nouvelle, régulièrement planifiée et tracée au cordeau en contrebas de la ville primitive.

MESURES A GRAINS

A  l’extrémité Est de la halle se trouve un grand comptoir avec, aux quatre coins des auges en pierre taillée. Elles étaient utilisées a I occasion des foires et des marchés au  Moyen Age, pour  mesurer les quantités de grain vendues et échangées ; les marchands venaient nombreux à Crémieu, chef-lieu de mandement détenant la mesure officielle du grain. Avant la Révolution Française, le système de poids et de mesure n'était pas unifié sur tout le territoire français. A Crémieu, la mesure unitaire était " le bichet ", évalué à 19,50 litres. Suivaient   " l’émine " (2 bichets), le " setier " (2 émines), la bichette " (la moitié d’un bichet) et la " coupe " (la moitié d'une bichette). Des marches de pierre permettaient au marchand de grain de monter sur cette plate-forme ;  un sac était suspendu par les crochets de fer et était rempli d'une quantité de grain déterminée qui coulait par l'orifice de la mesure.

PORTE DES MOULINS

Cette porte fortifiée appartenant à l'enceinte médiévale fut démolie vers 1850, Attenante à celle porte, une portion de l'enceinte est conservée flanquée par une tour semblable à celle qui supporte le clocher de l'église.

De part et d'autre de la rue, on peut remarquer l'interruption du mur d'enceinte. Cet espace fut ouvert vers 1850 pour améliorer les voies de communication de la ville vers le nord. Une poterne était percée dans la muraille, la Poterne du Reclus. Derrière l'enceinte, l'existence d'un reclus est authentifiée en 1331 par un testament de Jeannette de La Povpe contenant un legs en Faveur du " Reclus de Crémieu ". Voisine de la récluserie, la chapelle Notre Dame du Reclus existait dans la seconde moitié du XIVe siècle et ne fut détruite que vers 1850.

 

Partie 2:  Une petite ville du Dauphiné. Histoire de Crémieu, par R. Delachenal, ancien élève de l'Ecole des chartes. Grenoble, Allier, 1889. In-8°, XII-503 pages, 6 planches.

M. Roland Delachenal, à qui on doit un beau livre sur l'histoire des avocats au Parlement de Paris, n'a pas dédaigné de faire un utile emploi de ses vacances en consacrant de longues heures au dépouillement et au classement des archives de la petite ville de Crémieu, située à l'extrémité nord du Dauphiné, presque aux portes de Lyon. Après en avoir rédigé l'inventaire, il a complété ses recherches dans les collections des Archives nationales, des bibliothèques de Paris et de Grenoble et surtout dans le fonds si riche de la Chambre des comptes du Dauphiné, conservé aux archives de l'Isère.A l'aide des matériaux ainsi patiemment recueillis et très habilement mis en œuvre, il a composé une histoire de Crémieu, à laquelle on ne saurait reprocher que d'être trop complète, trop consciencieuse, étant donné le passé relativement modeste de ce chef-lieu de canton, qui n'est plus réputé aujourd'hui dans la région dauphinoise que par sa situation pittoresque et la proverbiale habileté de ses habitants dans l'élevage des dindons.

Crémieu est-il le « Stramiacum » de l'assemblée de 835 citée par le biographe anonyme de Louis le Débonnaire? M. Delachenal n'oserait l'affirmer, et il consent de bonne grâce à ne pas faire remonter au delà du XIIIe siècle le passé historiquement connu de cette petite bourgade. A cette époque, Crémieu est le chef-lieu d'un mandement qui fait partie de la baronnie de la Tour-du-Pin ; il est entouré d'une ceinture de murailles et protégé par un château fort.

Le 20 juillet 1315, le dauphin Jean II lui donne une charte de franchise « qui est l'une des plus complètes que l'on possède pour cette région du Dauphiné. » Le dauphin y est représenté par un châtelain et l'administration communale est aux mains des syndics élus chaque année par les habitants.

Cette période semble avoir été la plus florissante de ses annales : une ville neuve se bâtît entre les deux collines de Saint-Laurent et de Saint-Hippolyte; les Juifs s'y établissent et y provoquent une certaine activité commerciale ; Jean II y fonde un couvent d'Augustins et fait agrandir son enceinte à raison du rôle militaire que Crémieu est appelé à jouer dans les guerres entre le Dauphiné et la Savoie; enfin on y crée un atelier monétaire. Malheureusement cette ère de prospérité est de courte durée; l'expulsion des Juifs lui porte un coup fatal et vers 1450, Crémieu est presque désert.

En 1466, Louis XI le donne en dot avec plusieurs autres châtellenies à Jeanne, sa fille naturelle, qui venait d'épouser Louis, bâtard de Bourbon. Réuni au domaine en 1498, il est de nouveau engagé en 1543 à Guyot Henry, riche bourgeois de Lyon, et en 1594 à Lesdiguières, d'où il passe successivement aux mains de César Martin et de Melchior de la Poype, seigneur de Saint-Jullin.

M. Delachenal étudie ensuite le fonctionnement de l'administration communale au XVIe siècle. Il montre qu'en dépit du contrôle incessant du gouverneur, du Parlement et de la Chambre des comptes de Grenoble et du vibailli de Vienne, les consuls de Crémieu conservaient encore des attributions assez étendues. Il suit pas à pas les vicissitudes de cette petite ville pendant les guerres de religion qui ensanglantèrent la seconde moitié du XVIe siècle. Crémieu fut pris par le baron des Adrets en mai 1562 et, en 1589, embrassa chaudement la cause de la Ligue contre Henri IV. Comme dans tout le reste de la France, le XVIIe siècle y voit éclore d'assez nombreuses fondations religieuses : les Capucins s'y établissent en 1615, la Visitation en 1627, les Ursulines en 1633; en 1678, Louis de la Poype y ouvre un refuge aux pauvres vieillards.

Pendant la Révolution, Crémieu fut victime de son voisinage de Lyon. Après la prise de cette ville, il fut terrorisé par une bande de brigands conduits par le trop fameux Vauquoy, et fournit neuf victimes à la terrible commission temporaire de Commune-Affranchie.

« Je voudrais, » dit M. Delachenal à la fin de son introduction, « que, sans sortir du cadre où il doit se renfermer, ce volume pût offrir une image assez fidèle de la vie matérielle et morale d'une petite ville du Dauphiné pendant les cinq ou six derniers siècles de son histoire. » Ce plan qu'il se traçait, l'auteur de l'histoire de Crémieu me semble l'avoir parfaitement rempli, au grand profit de tous ceux qui tenteront après lui le même travail de reconstitution pour d'autres communes, et qui trouveront dans son livre à la fois un exemple excellent de la méthode à suivre et des notions précises et souvent neuves sur le régime municipal des communes rurales du Dauphiné du XIIIe au XVIIe siècle.

A.     PRUDHOMME.

 

Partie 3: A travers le Dauphiné - voyage pittoresque et artistique par le bon Achille Raverat - 1861 (http://Gallica.fr)

"...Ce fut moins un voyage qu’une promenade que j’entrepris au milieu de l’année dernière; si la relation que j’en fais ne me rappelle pas les magnificences de la nature qui m’ont frappé dans le cours de mes précédentes excursions, en revanche elle me laisse sous l’influence d’un charme inexprimable. Elle me fait revoir des lieux qui me sont chers à bien des titres : la petite ville de Crémieu, où je suis né; le village de Trept, où se sont écoulées trois années de mon enfance, et d’autres localités dont le nom se mêle à mes premiers souvenirs...

Montalieu-de-Vercieu était le but de cette promenade, et comme un écolier en vacances, j’allais prendre le chemin le plus long. Après Crémieu, ma première étape, je m’étais proposé de visiter à peu près tout l’arrondissement de la Tour-du-Pin, puis de me rendre à Montalieu, où je devais passer quelques jours, invité par l’aimable curé de ce village, M. Raymond B. avec qui je suis uni non-seulement par des liens de parenté, mais encore par ceux d’une sincère amitié.

Mon vieil et excellent ami Joseph Bine, et mon frère Octave étaient encore cette fois mes compagnons de voyage.

Arrivée à Crémieu Précis historique et descriptif sur cette ville.

Au lieu de prendre le chemin de fer de Bourgoin jusqu’à la station de Saint-Quentin, puis l’omnibus de Saint-Quentin à Crémieu, nous prenons l’ancien mode de locomotion, c’est-à-dire la voiture ordinaire, préférant rester deux heures de plus en voyage.

La voiture traverse donc le long et insipide faubourg de la Guillotière, et s’engage sur la route de Crémieu.

Au-delà du village de Villeurbanne et de la plaine de Dessine, on met pied à terre pour alléger la voiture et lui permettre de monter avec moins de peine une petite cote, le Molard, qui est le commencement de cette suite de collines désignées sous le nom de Balmes Viennoises et courant parallèlement au Rhône. L’horizon s’élargit alors, on découvre une contrée plus agréable que la précédente, puis la route redescend et traverse le village de Meyzieu et celui de Pusignan, où l’on change de chevaux.

Pendant cette opération, le voyageur a le temps de jeter un coup-d’oeil sur un vieux château délabré couronnant un mamelon boisé.

En 1430, quatre jours avant la bataille d’Anthon, le château de Pusignan fut emporté d’assaut par le gouverneur du Dauphiné, Raoul de Gaucourt, malgré la présence du prince d’orange, campé dans la plaine et s’appuyant sur le château de Colombier et sur la forteresse d’Anthon (qui n'existe malheureusement plus aujourd'hui).

Une lieue plus loin que Pusignan, voici le misérable hameau de Janeyriat, ensuite quelques marécages formés par les eaux de pluie, lesquelles n’ayant pas d’écoulement croupissent dans les bas-fonds. Cet endroit est appelé les Quatre-Chemins; il est désert; autrefois, les voyageurs y étaient souvent détroussés.

A la sortie de Charvieux, on aperçoit un fort joli village, aux alentours bien cultivés. Ponchéry (contraction de Pont de la Charruize) est plein de vie, grâce à une petite rivière sur laquelle sont établis grand nombre de moulins à blé, de fabriques de galons et d’étoffes de soie, d’ateliers d’impression sur foulards, d’étirages de fils métalliques, de scieries à bois et à marbre, de papeteries et d’usines de différente nature.

Ce cours d’eau, appelé indistinctement la Bourbre ou la Charruize, est le canal naturel qui conduit au Rhône toutes les eaux des marais de Morestel, de la Tour-du-Pin, de Bourgoin et de la Verpillière.

La voiture traverse la rivière sur un vieux pont de pierre, dont la possession fut maintes fois disputée pendant les guerres religieuses. Nous roulons dans une plaine au sol graveleux et peu fertile. Encore une lieue, et nous serons à Crémieu!

A mesure que l’on avance, le pays perd de son aridité et devient plus verdoyant; des sources et des ruisseaux y entretiennent une agréable fraîcheur, et des bois lui donnent une physionomie des plus riantes. Déjà nous devinons la place que Crémieu occupe au pied de rochers, premiers gradins de la région montagneuse; nous aspirons avec plaisir le parfum des bruyères et des buis sauvages que le vent, passant sur les collines, apporte jusqu’à nous. Nous avons dépassé le petit hameau de Saint-Romain, qui se reconnaît à sa vieille et noire masure seigneuriale, la ferme de la Levretière, la prairie des Jonchaies et la tour carrée de Montiracle, ancienne commanderie des chevaliers de Malte; nous sommes à la Vraie-Croix, où existaient jadis une chapelle et une maladrerie; nous tournons le coude de la route; Crémieu surgit tout-à-coup devant nous!...

Salut, ville du Moyen-âge, vieux château des Dauphins, vieux couvent des Bénédictins!...

Salut, donjon qui vous dressez encore avec orgueil !... Murailles en ruines, aux créneaux ébréchés et aux tours festonnées de lierre, salut!...

J’aime Crémieu; j’aime à y penser, à en parler; j’aime ses rues désertes et ses maisons aux toits moussus; j’aime ses vieilles halles et son tilleul planté par Sully; j’aime son église au clocher élancé, ses anciens couvents, ses remparts, ses portes à mâchicoulis, son château démantelé; j’aime son aspect à la fois guerrier et religieux; j’aime ses environs aux sites tour-à-tour sauvages ou ravissants, ses vallons tranquilles et ses gorges profondes; j’aime son patois si expressif!... Que dirai-je de plus?... j’aime mon berceau et les doux souvenirs de mon enfance...

II est difficile d’assigner une époque précise à la fondation de la ville de Crémieu; aucun document n’en fait mention. Doit-elle son origine au voisinage d’un camp romain, à une communauté religieuse ou à une forteresse féodale?.. Nos annales sont muettes à cet égard.

C’est en 836 que, sous le nom de Stramiacum, Cremiacum, elle apparaît pour la première fois dans l’histoire, à l’occasion d’un concile, ou plaid, tenu par l’empereur Louis-le-Débonnaire et son fils Pépin, roi d’Aquitaine. Pendant plusieurs siècles, son nom retombe dans l’oubli ou ne revient qu’à de rares intervalles. Que de lacunes dans son histoire !...

Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que, vers le milieu du XIe siècle, époque des troubles occasionnés par les luttes sanglantes entre le Sacerdoce et l’empire d’Allemagne, — duquel relevait le deuxième royaume de Bourgogne, — la ville de Crémieu avait pour suzerains les barons de la Tour-du-Pin. Ces barons, à l’exemple des autres seigneurs dauphinois, laïques et ecclésiastiques, avaient profité de ces troubles pour se créer de petites souverainetés et se rendre indépendants de l’Empire, qui, depuis lors, ne conserva sur la province qu’un pouvoir purement nominal.

Ils entourèrent Crémieu de remparts crénelés, le couvrirent d’un donjon formidable et en firent la première place de leur baronnie.

Mais à partir de l’année 1282, année de l’avènement au pouvoir delphinal de Humbert 1er, baron de la Tour-du-Pin et chef de la troisième race des souverains du Dauphiné, Crémieu acquit une grande importance non seulement comme place de guerre, mais encore comme ville de commerce. Les Dauphins l’enrichirent à l’envi; des couvents y furent fondés; un hôtel des Monnaies y fonctionna (C’est de ce temps-là que datent les armoiries de la ville de Crémieu ; leur origine est clairement établie et expliquée par les pièces meublant l’écusson d’azur à trois besants d’or, 2, 1, au chef chargé d’un dauphin de sable).

Des foires et des marchés y appelèrent de tous côtés une nombreuse population de trafiquants; elle devint bientôt le centre du commerce des grains de la contrée; les toiles que l’on y fabriquait s’exportaient jusqu’à Beaucaire et étaient recherchées pour la marine; des juifs, agents indispensables à toute transaction de négoce au Moyen-âge, y furent attirés par les franchises et les privilèges dont cette ville jouissait, et ils y établirent plusieurs maisons de banque.

Malheureusement, depuis la réunion du Dauphiné à la France, Crémieu perdit de jour en jour de son importance: l’atelier des Monnaies fut transféré à Grenoble, et par un zèle religieux mal compris, les juifs furent non-seulement chassés mais aussi spoliés; avec eux le grand commerce disparut. L’industrie, privée de ces hommes actifs et intelligents, perdit ses débouchés et alla toujours en déclinant. La population qui était de 7,000 âmes, suivit ce mouvement de décadence, et décimée plusieurs fois par la peste et la famine, finit par tomber au chiffre minime d’environ 1,700 âmes.

Depuis lors, aucune fabrique, aucune manufacture n’a pu prospérer dans cette ville; des négociants lyonnais tentèrent à plusieurs reprises d’y implanter l’industrie de la soie et d’y monter des métiers de tisseurs; ce fut on vain; ces généreux efforts, qui pouvaient y rappeler la vie, échouèrent devant l’apathie des habitants ou l’incurie des magistrats. La jeunesse, cependant, possède le goût des affaires et l’énergie nécessaire pour les mener à bien; mais elle déserte sa ville natale pour venir à Lyon, où elle peut donner un libre essor à son intelligence.

La relation détaillée des événements historiques dont Crémieu a été le théâtre, fera le sujet d’un autre ouvrage, nous nous bornons ici à donner une notice succincte sur cette petite ville, devenue, par suite de la nouvelle division territoriale, un chef-lieu de canton de l’arrondissement de la Tour-du-Pin, département de l’Isère.

La colline de Saint-Laurent est isolée au centre d’un étroit bassin circonscrit par de légères ondulations du terrain et par une chaine de petites montagnes abruptes dont les ramifications forment ce massif de quatre lieues de diamètre, connu, dans l’ancienne géographie du Dauphiné, sous le nom de l'Ile Crémieu. Placée par la nature à l’entrée de trois défilés qui, de la plaine, s’enfoncent dans le haut pays, cette colline présente un abord escarpé, hormis du côté de l’orient où, en inclinant un peu, elle se rattache aux rochers verticaux de Saint-Hippolyte.

Sur le point culminant, l’antique château baronnial de Saint-Laurent s’élève comme un dominateur, et les maisons qui se sont groupées successivement sur les pentes et dans la partie basse ont formé la ville de Crémieu. Des remparts surmontés d’un chemin de ronde, percés de trois portes principales et renforcés par de grosses tours demi-circulaires, partent du château, enceignent sans interruption la colline et finissent au pied des rochers.

Ces mêmes rochers appartiennent à la chaîne de montagnes, et, comme un promontoire, s’avancent Sur la ville. Trois de leurs faces, protégées précipices et des ravins profonds, sont inexpugnables; l’art est venu défendre le côté oriental, le seul que la nature n’ait pas fortifié.

Dans le Moyen-âge, Saint-Hippolyte était occupé par des Bénédictins, qui y avaient érigé un prieuré, dépendant de la riche et puissante abbaye de Saint Chef. Ils l’avaient entouré de solides remparts qui venaient se relier à ceux du château et de la ville, en suivant les sinuosités et les replis du terrain. Le système de ces fortifications était combiné dans le double but de braver les entreprises du seigneur et des habitants de Crémieu, aussi bien que les attaques du dehors. Un étroit et rude sentier ménagé le long des rochers était le seul passage qui permît de monter au couvent; ce sentier était défendu lui-même à son extrémité supérieure par une grosse tour carrée dans laquelle s’ouvrait une porte massive.

Tels étaient, durant les temps féodaux, les moyens de défense de cette ville, qui furent encore augmentés par les rois Louis XII et François Ier lorsqu’ils portaient la guerre en Italie.

De nos jours, que reste-t-il de tant de travaux? A Saint-Laurent, un pan de muraille du vieux donjon qui, malgré son ancienneté, se montre encore fièrement sur ses assises de rocher et semble défier les efforts du temps ; autour de la ville, des murailles trouées par les habitants pour faciliter les communications, quelques poternes bouchées, la porte Neuve et la porte de Lyon encore intactes, ainsi qu’un fragment de la porte des Moulins, demeuré debout comme pour protester contre le marteau de l’administration des Ponts-et-Chaussées qui a abattu cette porte pour le passage de la grande route. A Saint-Hippolyte, du couvent ruiné par le baron des Adrets, il n’existe plus que quelques murs dégradés de l’ancienne église, la grosse tour carrée et, sur le bord du rocher, une haute tour ronde dans laquelle on a placé une horloge.

La ville est coupée par des rues irrégulières, pittoresques, qui se développent tantôt dans les quartiers bas, tantôt sur les flancs de la colline. A côté de vieux couvents, de vieilles églises, d’humbles chapelles, on y voit d’anciennes demeures seigneuriales et d’intéressantes maisons du Moyen-âge, aux façades bizarrement sculptées, et devant lesquelles l’artiste s’arrête avec bonheur pour enrichir son album de leur reproduction.

Elle ne possède pas de monuments historiques de premier ordre; mais sur ces ruines, sur ces églises, ces couvents, ces maisons, le temps a déposé une telle couleur, une telle patine , qu’on ne peut les regarder sans éprouver un sentiment de mélancolie et  de religieux respect...

Depuis la réunion du Bugey à la France, on n’entretenait plus de garnison dans le château de Saint Laurent, on le laissait l’abandon, lorsqu’un arrêt du conseil d’Etat, rendu le 26 janvier 1633 sur les conclusions du cardinal de Richelieu, en ordonna définitivement la démolition, en même temps que celle de toutes les autres forteresses situées sur cette ancienne frontière.

Les débris provenant de la démolition du vieux donjon delphinal couvrirent le sommet de la colline jusqu’au moment où, par suite d’une ordonnance royale, ces matériaux, mis à la disposition des religieuses de Sainte-Marie, furent employés à la construction de leur monastère. La même ordonnance avait également octroyé à ce couvent toutes les dépendances du château, qui furent déblayées, minées et disposées en vignes et en jardins.

Il n’est rien moins qu’agréable pour un étranger, le sentier qui, à travers ces vignes et ces jardins, conduit au pied des ruines!

Exposé en plein midi, rocailleux, semé de débris, il est, indépendamment de tout cela, infesté de petits serpents. On en trouve par tout : sur les murs, sur la terre, dans les cavités, sous les pierres, et jusque dans l’intérieur des maisons. On ne peut s’asseoir sur un bloc, s’accouder contre la muraille, remuer un caillou, cueillir un fruit, une fleur, sans que soudain une tête se lève en faisant entendre un sifflement aigu...

Heureusement, ces vilains petits reptiles ne sont pas venimeux; ils sont même tout-à-fait inoffensifs. Les enfants s’en amusent, ils les enroulent autour de leur cou en forme de cravate, autour de leurs bras en guise de bracelets; ils en mettent dans leurs poches et même dans leur sein..."


Photos:

- Jimre (2009, 2023)


Posté le 05-05-2009 20:22 par Jimre